Le blues du confiné (9-b)

Là où d’autres en deux images te montrent avec précision la couleur de la situation et du sentiment (oui, je sais, ça s’appelle le talent), j’ajoute des mots aux mots pour essayer d’y parvenir. Parfois de ces mots de forme anodine qui finissent par former des phrases assassines… dont tu n’as même pas conscience, comme un suicide masochiste mais ça, c’est une autre histoire dont le mot fin s’est inscrit par surprise. Et je balance tous ces mots où je peux. Autrefois j’avais quelques interlocuteurs épistolaires chez qui je déversais mes trop-pleins. Au fil du temps, j’en ai perdu la plupart sur la route de cette vie et le dernier, le meilleur, celui qui pissait du bras, a eu cette mauvaise idée de décéder il y a quelque temps…

Alors j’écris en me demandant, de temps à autre de ce qu’il adviendra de ces pages noircies par le quotidien. Est-ce que mes filles après avoir lu quelques pages finiront par passer ça à la déchiqueteuse à papier ? Qui vivra verra, donc je ne verrai pas. Et je comprendrais, il y a tant de banalités. Mais c’est quand même une vie qu’il y a sous ces lignes, avec ses bons moments et ses chaos. Bien des années avant sa mort, mon père avait été opéré à cœur ouvert et sur son lit de délires s’était accroché à moi, me suppliant de trouver son « petit carnet noir ». Carnet dont ma mère, à qui j’en avais parlé à mon retour de l’hôpital, niait toute existence… Et pourtant, quelque temps après leur mort, à deux mois d’intervalle, je l’ai trouvé ce carnet, caché derrière des livres. Oh, il n’y avait pas des centaines de pages, juste quelques-unes écrites de sa belle écriture pendant la guerre et qui parlaient de son amour naissant et de son dégoût pour l’armée. Mais suffisamment pour que je regrette qu’il n’ait pas plus écrit, j’aurais tant aimé lire sa vision du temps qui passait et peut-être découvrir certaines faces cachées de cet homme. Ou alors, peut-être les garderont-elles pour de temps à autre prendre une page au hasard comme on visite un lieu de façon aléatoire, sans souci chronologique.

Tiens, il me revient un truc. Enfin, disant qu’en mettant un peu d’ordre dans mes brouillons épars, j’ai retrouvé quelques lignes destinées au blues du confiné (7) quand j’évoquais mon intoxication aux infos… : « De toute façon, je suis un toxico multiple, ça va des bonbons à l’amour, en passant par… la liste de mes dépendances serait trop longue à raconter et je ne vais pas vous dire comment je les traite, seulement que j’ai une tactique pour tenter de contenir chacune d’entre elles, tactiques qui fonctionnent plus ou moins bien, selon l’époque et l’environnement. Tu avoueras que cela valait le coup de faire un retour en arrière ! Oui, je sais, en début de page on se vouvoyait mais reconnais qu’arrivés à l’épilogue de la chose, on peut passer au tutoiement.

Harry Steed (Avril 2020 – extrait de « L’avenir est en doute »)

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